Évaluation bilan et portfolio

Evaluation bilan et Portfolio

jeudi 4 janvier 2007, par Sylvie Blavignac — IA – IPR 

Article reproduit du site http://www.langues.ac-versailles.fr/spip.php?article85.

Il  convient d’abord de mettre en rapport les termes évaluation et bilan , et voir le rôle du Portfolio des langues sous cet aspect. L’évaluation est un concept central de l’enseignement / apprentissage des LV :
- pas de programmation ni de remédiation possibles sans évaluation
- pas de conscientisation par l’élève de ses acquis et de ses manques Donc, pas de progrès possibles. Une évaluation bien conduite est ce qui manque le plus au système.

Qu’est-ce qu’une évaluation ? Un constat sans jugement de valeur. L’évaluation diffère de la notation, ou de l’examen. L’évaluation est un OUTIL de formation, scolaire, universitaire, professionnel. On observe que les Français sont un peu « coincés » vis-à-vis de l’évaluation ; cela ne fait pas intrinsèquement partie de notre culture, toute évaluation traînant avec elle une réputation de prise de pouvoir, de stigmatisation, loin de l’idée d’outil pragmatique véhiculée par la culture des gens du Nord . Partielles, partiales, entachées de subjectivité, les « évaluations » conduites chez nous habituellement dans les classes sont bien souvent des armes létales pour certains élèves. Or, évaluer, c’est tout simplement attribuer un degré sur une échelle (en l’occurrence celle du CECRL), et ceci dans notre discipline Langues, par activité langagière, toujours en un temps et un lieu déterminés. Ce ne doit pas être traduire une « impression » sur l’élève par le biais d’exercices mal calibrés et pas référencés. Les PARAMETRES d’une évaluation (tâche, objectifs, exigences) sont ce qui lui donne validité et légitimité. L’évaluation et l’auto-évaluation (telle que proposée par le Portfolio) ne prennent leur valeur que l’une par rapport à l’autre. Elles doivent se confirmer pour être fiables, sereines et utiles. On est toujours dans le registre de l’outil et non pas de la fin en soi.

Une évaluation peut être : Diagnostique – Formative – Sommative – Bilan. Elle est « institutionnelle » quand elle dépasse le cadre de la classe et ouvre sur d’autres perspectives :
- Par exemple, les évaluations à l’entrée en 2nde, hélas abandonnées, qui étaient un outil pour la Direction de l’Evaluation et de la Prospective, afin d’affiner la connaissance des élèves. C’était (ou aurait dû être ) aussi un outil précieux pour les professeurs, à valeur diagnostique.
- L’examen du Baccalauréat, qui en fait n’est pas techniquement une évaluation. Qu’est-ce que le « niveau bac » ? On peut avoir son bac S avec mention, et 3 en LV1 ou LV2…De plus, toutes les activités langagières ne sont pas testées. Mais le bac a une valeur institutionnelle forte.
- Les nouvelles certifications (en allemand à ce jour) sont de l’ordre de l’institutionnel.

Faisons retour aux évaluations diagnostique, formative, sommative et bilan, souvent confondues ou ignorées. Toutes ne peuvent avoir de VALEUR D’USAGE que si elles sont effectuées par activités langagières, et en référence au CECRL.

Qu’est ce qui fait la différence entre ces diverses formes d’évaluation ? C’est l’objectif. Les TÂCHES d’évaluation peuvent être les mêmes dans tous les cas. C’est la visée qui leur confère leur caractère.

Diagnostique : Etat des lieux pour repérer les points de force pour l’apprentissage et les nécessités de remédiation, ou simplement d’entraînement accru. Aucun besoin d’être notée. A pratiquer en début de cycle. C’est un outil méthodologique pour l’enseignant et/ou l’institution.

Formative : Bilan d’étape en cours de séquence. Permet d’évaluer la performance de l’élève en T2 par rapport à T1. L’élève est évalué par rapport à lui-même. Si bien conduite, cette forme d’évaluation prend pour l’élève un aspect éclairant de prise de conscience, qui se rapproche d’une auto-évaluation. Il constate ses progrès, conscientise ses erreurs. Cela n’est pas nécessairement noté.

Sommative : En fin de séquence. Bilan par rapport aux attendus. L’élève est évalué par rapport à la classe, ou par rapport à une cohorte. Quand elle est institutionnelle, on l’appelle « normative ». Elle est toujours notée. Le bac en est le symbole, mais encore une fois, le bac en soi ne veut rien dire !

 Et l’évaluation Bilan dans tout ça ?

On remarque les similitudes entre diagnostique et bilan. Sous certains aspects, c’est la même chose. Mais l’évaluation diagnostique n’est pas forcément communiquée à l’élève, elle sert aux enseignants, aux formateurs, à l’institution. Elle sert à construire une conduite d’apprentissage ; c’est un outil de « cuisine interne ».

Bilan : L’évaluation bilan est pour l’apprenant. Pour savoir de façon claire où il est parvenu, par rapport à lui-même, par rapport à son environnement, à ses pairs. Elle lui sert à pouvoir se présenter comme disposant de telle ou telle compétence opérationnelle, en vue d’une poursuite d’études, d’une nouvelle orientation, d’un stage ou d’un premier emploi. Et ceci toujours sans jugement de valeur. Faisant état d’un savoir-faire étalonné de façon précise sur une échelle reconnue par tous les partenaires, c’est une évaluation POSITIVE en ce qu’elle démontre ce que sait faire l’apprenant au lieu de s’attacher à disséquer chirurgicalement ce qu’il ne sait pas faire. L’évaluation positive n’a jamais consisté à mettre 18 à tout le monde pour faire plaisir, mais à cerner l’acquis au lieu de s’acharner sur le non-acquis.

Si l’on ré-ouvre le bilan vers une nouvelle phase d’apprentissage, alors le bilan prend un aspect diagnostique, qui permettra de programmer une progression vers plus d’expertise. C’est comme en médecine : un bilan médical sert de diagnostique si il y quelque chose auquel remédier. Si la situation peut rester en l’état, alors c’est un simple bilan. On constate.

Une évaluation bilan pour porter du fruit, doit être partagée, c’est-à-dire assumée par l’apprenant. Elle exige une dimension de lucidité de sa part pour qu’il puisse en faire quelle que chose, et c’est pour cela qu’un bilan est profondément formateur. Un bilan a toujours quelque chose de participatif qui implique le sujet. D’ailleurs, on demande un bilan professionnel, on veut un bilan médical. On assume son bilan financier. Un bilan en LV doit ressortir de la même logique. Il est clair qu’avoir 10 à l’écrit du bac n’est pas un bilan…on ne sait d’ailleurs même pas ce qu’on a pu faire ou ne pas faire pour en arriver là.

 Et maintenant le Portfolio dans tout ça ?

Cet outil est et doit rester sous peine de confusion et de perte de validité, le seul instrument de bilan, et on peut aisément le concevoir comme extensible à d’autres disciplines ( maths en particulier ). Ce bilan est TOUJOURS évolutif, comme le sujet humain. Il est toujours partagé : l’évaluateur a constaté, selon des paramètres reconnus, et l’apprenant qui connaît les paramètres d’évaluation constate à son tour. Là où l’évaluation prend tout son sens car elle a été bien conduite, c’est lorsqu’elle est intériorisée par l’apprenant – qui se l’approprie – si fait qu’évaluation et auto-évaluation fusionnent, l’évaluateur étant alors perçu comme le simple miroir qui réfléchit les compétences testées. Et jamais comme un juge. A ce jour, le Portfolio n’a pas valeur institutionnelle. Basé sur le CECRL, comme les programmes français, il DEVRAIT l’être, selon la plus élémentaire logique…

Remplacera-t-il un jour le bac en LV ? Peut-être à terme…Restera-t-il un passeport personnel, presque intime ? Pourquoi pas … Sera-t-il « doublé » institutionnellement par une certification basée sur le Cadre ? C’est une éventualité…. Il n’a pas encore trouvé sa place en France à cause de toutes sortes de résistances, mais son extension en Europe élargie finira par l’imposer. Son aspect plurilingue en fait un objet unique. L’historique de l’apprentissage qu’il permet de visualiser, la biographie langagière qui en est la mémoire, permettent un regard sur le parcours autant que sur le résultat. Le Portfolio est profondément individuel, comme un passeport. C’est un outil de communication qui parle de quelqu’un en devenir. Il est donc précieux dans le cadre de la formation continuée.

 Son rôle dans la formation des groupes de compétence :

En ce qui concerne l’enseignement scolaire, le Portfolio est indispensable pour établir des groupes de compétences de façon partagée, élèves / professeur, et donc acceptée. Le Portfolio témoigne, il ne juge pas. C’est un outil bienveillant qui dit « je suis cap ! ».

Le but des groupes de compétences est d’amener toutes les petites cases grisées du « passeport » inclus dans le Portfolio au même niveau, soit le niveau requis dans chaque activité langagière pour le cycle d’apprentissage dans lequel l’apprenant est engagé. On observe l’effacement de la notion de classe au profit ( enfin !) de celle de cycle qui laisse plus de jeu et d’aisance pour la mise en place des apprentissages. Des disparités entre les activités évaluées pourront perdurer. Et alors ? Certaines organisations cognitives sont plus à l’aise avec les compétences de réception, d’autres avec les compétences de production, à l’écrit, à l’oral… Que l’on fasse en tant qu’apprenant tous les efforts nécessaires pour améliorer ses performances fait partie ( en théorie !) du métier d’élève, mais au bout du compte, on est ce que l’on est et il arrive que l’on se heurte à des indépassables. Les petites cases grisées continueront à ressembler aux créneaux d’un château fort. Au moins on le sait, et on se rabattra sur d’utiles stratégies de contournement dans la vie réelle ( devenir riche pour s’offrir les services d’un interprète est une stratégie intéressante).. On peut aussi décider en conscience de faire porter tous ses efforts là où on présente des dispositions, au lieu de continuer à s’échiner péniblement là où on ne récolte que de maigres résultats. On voit que les concepts de lucidité, de stratégie, sont au cœur de la démarche. On observe aussi le côté « programme sportif », compétitif dans le bon sens du terme, c’est-à-dire par rapport à soi-même. On voit là un aspect « motivation interne » qui est un levier puissant.

Le Portfolio permet donc un regard totalisant ( mais pas totalitaire !), car il comprend toutes les expériences personnelles et extra-scolaires jusque là ignorées, ce qui contribuait à maintenir l’enseignement scolaire des langues dans un champ de disciplines « en dehors de la vie » aussi injustifiable que néfaste. Le Portfolio est le bilan d’une personne, et pas seulement celui d’un élève, appellation fragmentaire. On voit son intérêt pour l’apprentissage de l’autonomie et celui de la citoyenneté, en inscrivant l’apprenant dans le tissu social. Le monde rentre dans la classe.

Le Portfolio autorise ce qui était impensable jusque là : faire état de sa capacité à communiquer oralement en grec moderne sur des sujets de la vie quotidienne ( mais néanmoins estivale), et ceci sans savoir l’écrire, et le tout grâce à ses vacances à Mykonos. La valeur professionnelle de ces compétences partielles, si elles sont attestées sur une échelle largement partagée et incontestable, est évidente. La valorisation du sujet, qui peut par là compenser un sentiment de dévalorisation dans d’autres compétences ( qu’on lui démontrera elles aussi comme partielles, pour en réduire le potentiel menaçant )saute aux yeux ; de même, les compétences d’élèves issus d’un autre bain linguistique que le français, et jamais prises en compte à ce jour, se voient reconnues et sont donc moteur de réussite, à tout le moins de reconnaissance et de satisfaction.

C’est une utilisation massive du Portfolio qui entraînerait une généralisation du travail par activités langagières, mises en place ou non en « groupes de compétences ».Une forme de pilotage par l’aval, certes, mais intelligent.

- Les évaluations scolaires seraient automatiquement critériées selon le CECRL et par activités. Comment faire autrement ?
- Les enseignants seraient conduits à utiliser les niveaux intermédiaires (B1-1, B1-2 etc.) de la grille des tâches pour évaluer les progrès les plus fins.
- Tous opéreraient à l’intérieur du Cadre.
- Le travail en équipe serait favorisé par des objectifs communs
- Les évaluations seraient transparentes et fiables, compréhensibles par tous les partenaires, et non-humiliantes.
- Tâches et entraînement seraient mis au centre de l’apprentissage, au lieu de l’élucidation d’un support, sans finalité transférable aucune.
- Enfin, l’utilisation du Portfolio n’est pas forcément chronophage, comme nombre d’enseignants le redoutent. Quelques rencontres individuelles, une session de fin de séquence, un quart d’heure pris ici ou là suffisent amplement lorsque la procédure est en place.